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Polynésie : l’ONU sanctionne le déclin de la France

18 Mai

Ce matin, la « grande presse » française bouillonne. L’ONU s’est permise de mettre la Polynésie dans la liste des territoires à décoloniser, la France a immédiatement réagi en dénonçant « l’ingérence » et l’irrespect du choix électoral des Polynésiens – en faveur de Flosse, opposé à l’auto-détermination. Mais au-delà de l’écume des réactions politiques et journalistiques – diffusées par l’agence de presse d’Etat, l’AFP – l’affaire polynésienne marque la fin d’une époque. Autopsie d’un déclin éclair.

La France traitée comme elle traite les faibles

superdupondLa décision de l’ONU renverse les tables. D’habitude, c’est la France qui, depuis le conseil de sécurité ou de son piédestal de « pays des droits de l’Homme », se permet des ingérences caractérisées, théorisant la guerre humanitaire pour s’immiscer sans ménagement dans les affaires serbes, libyennes ou maliennes, sans égard ni pour la volonté de ces peuples, ni pour les règles basiques du droit international. En revanche, elle est d’une extrême discrétion pour les ratés, sinon les dérapages des Etats-Unis ou des Anglais envers leurs propres minorités, et, depuis le déclin de son économie, envers ceux des pays du Golfe, de la Russie ou de la Chine. La politique qui domine est brutale : c’est celle du pur rapport de force, de puissant à faible, de seigneur à vassal, de libre à dominé. C’est pourquoi la décision de l’ONU est si douloureuse : la France se retrouve confrontée à ses manquements, bref, traitée comme une partie faible, comme un pays du tiers monde auquel on ne pardonnera plus aucun faux pas. Une « puissance de taille moyenne » forcée de se soumettre ou de se démettre face au gouvernement mondial.

Un cas exprime tout l’odieux de la relation de la France et des peuples qu’elle prétend aider, sous couvert d’humanitarisme, de francophonie ou de solidarité : le Mali (et plus largement les pays sous l’ombrelle française, ceux qui subissent les affres de la Françafrique). Dernièrement, le gouvernement qui a donné l’ordre d’une intervention à l’étranger tant coûteuse (près de 2 millions d’€ par jour) que sans grand intérêt tant pour la France que le Mali, est allé jusqu’à annoncer de son propre chef la date des prochaines élections générales dans le pays, se substituant aux organismes et instances maliennes théoriquement chargées de le faire. La France traite donc le Mali comme le 102e département français. Au mépris de la volonté du peuple malien – ou plutôt de ses diverses composantes – qui ne se sont pas « décolonisées » il y a un demi-siècle pour se retrouver dans cet état. Ce traitement se retrouve dans d’autres pays où des dirigeants corrompus, affairistes et dictateurs sont artificiellement maintenus par la France (Tchad, Sénégal…) ou défaits (Côte d’Ivoire) pour permettre à quelques grandes entreprises – c’est-à-dire aux proches des gouvernements français successifs) de piller des marchés captifs.

 

1963-2013 : La fin d’une époque

Bref, la décision de l’ONU n’apparaît pas comme une injustice, bien au contraire. Nous nous étonnons seulement de la mansuétude des institutions internationales jusqu’alors envers un pays en phase de déclin grave et accéléré, plongé dans une crise tous azimuts. La décision de l’ONU apparaît comme un coup de tonnerre. Elle n’est cependant qu’un retour à l’ordre des choses. Comme le rappelle dans le compte-rendu officiel  le représentant des Iles Salomon, « la Polynésie française avait été inscrite en 1946 sur la liste des Nations Unies, en même temps que la Nouvelle-Calédonie, mais en avait « curieusement » disparu en 1963, et ce, sans l’aval de l’Assemblée générale ». 1963, comme c’est curieux. Trois ans après le premier essai nucléaire française (13 février 1960), un an après l’indépendance de l’Algérie, et surtout au moment même où De Gaulle, débarrassé de ce qu’il appelait le « boulet algérien » qui l’obligeait à des sujétions et limitait ses marges de manœuvres, lance le cœur de sa politique d’indépendance nationale : refus de soumission à l’un ou l’autre des blocs, main tendue à l’URSS, force de dissuasion nucléaire indépendante, retrait progressif de l’OTAN, construction d’un bloc de pays obligés, tant par le lien de la langue que ceux de l’argent. 1963, c’est l’époque de la consolidation de la Françafrique et de la bombe nucléaire, deux atouts qui encore près d’un demi-siècle après constituent les deux raisons pour lesquelles les Etats-Unis ménagent la France, comme le révèle la fuite des télégrammes diplomatiques fin 2010. Quatre ans plus tard, les puissants pardonneront l’ingérence caractérisée de la France dans les affaires canadiennes, le « vive le Québec libre ! » lancé par de Gaulle, tout simplement parce que la France aura gagné sa place parmi les forts, ceux qui ont droit de fouler les autres et à qui tout est permis. Les seigneurs du monde.

Si en un demi-siècle les atouts majeurs de la France n’ont pas bougé, le monde a lui évolué, et la France qui stagnait a de fait reculé. La décision de l’ONU sanctionne surtout la rapidité du déclin : livrée depuis six ans à des gouvernements qui ont mis fin à l’indépendance nationale de la politique étrangère française et qui ont privé son armée des moyens d’agir, la France ne fait plus partie des puissants, ni par son économie, ni par son destin national, ni par ses forces. Sarkozy l’Américain a eu cinq ans pour ramener la France sous l’égide du commandement intégré de l’OTAN et purger l’armée tant du superflu que de l’indispensable. Alors que les avions et les chars français coûtent des milliards pour une efficacité toute relative, les drones – l’arme aéroportée du futur – viennent d’Israël ou des Etats-Unis et leurs technologies restent verrouillées par ces deux pays, leur donnant de fait la possibilité de garder des backdoors pour utiliser les données collectées à leurs fins personnelles; c’est par ce genre de pratiques que les forces israéliennes ont obtenu une très bonne cartographie d’une partie de la frontière iranienne par des engins vendus à un pays tiers. Alors que l’armée française est noyée dans la guerre des chefs et la bureaucratie, il n’est pas rare que les soldats doivent dépenser leur solde personnelle pour acheter dans les surplus militaires du quartier Montparnasse des vêtements ou de l’attirail adapté aux pays chauds et sableux où se passe la majorité des opérations extérieures (OpEx) de l’armée, les modèles de dotation étant notoirement insuffisants.

Chaque troisième balle tirée par un soldat français vient de l’emprunt, est achetée à crédit, gagée sur les richesses nationales; et avec les ratés (retentissants, mais restés assez discrets grâce à la réputée indépendance des médias français) du logiciel central Louvois, l’armée ne peut même pas payer en temps et en heure et convenablement ses soldats. Un tel pays ne peut, s’il n’a pas l’extraordinaire richesse d’un pays continent, être décemment parmi les puissants, sauf s’il a une politique réellement indépendante, et qu’il s’en donne les moyens. Le gouvernement socialiste, qui poursuit passivement les orientations mortifères engagées par Sarkozy, et qui, pressé par l’Europe, s’apprête à supprimer 30 régiments et à vendre notre unique porte-avions au Brésil ou au Qatar, n’est pas capable de cet esprit d’indépendance qui a donné cinquante ans de répit à la France dans la course mondiale, l’illusion de la grandeur. Pour les puissants de ce monde, ceux qui impulsent le prétendu « gouvernement mondial », c’est plié, la France n’est plus une puissance, et au contraire une gêne. L’activité désordonnée de ses gouvernements au sujet de la Syrie, son soutien aux rebelles islamistes, a retardé la cessation des hostilités et le déploiement de casques bleus de plusieurs mois : curieusement, cette donnée est connue partout dans le monde, sauf dans les médias français. Indépendance autiste, quant tu les tiens…

 

L’impérieuse nécessité du regain, ou la question Bretonne

Le représentant des Iles Salomon trace la direction dans laquelle avancera désormais l’ONU : la prochaine résolution concernera la Nouvelle-Calédonie, puis demain ce sera la Corse ou la Bretagne, le Pays Basque ou la Catalogne. Les Bretons auraient tort de s’en réjouir pour autant : certes, les pouvoirs français – auxquels on peut reprocher beaucoup de manquements aux droits de l’Homme  dont ils se prétendent héritiers – auront plus de pression, mais l’Histoire contemporaine montre qu’en pareilles circonstances, c’est toujours plus d’oppression abjecte que la République a fait peser sur ses minorités – perçues comme de dangereuses concurrentes – lorsqu’elle était sous pression de l’étranger.

Mais la récente délibération de l’ONU pose abruptement la question Bretonne : la province la plus attachée à la France – ce patchwork d’identités dont la richesse de la diversité intérieure a préexisté à la République et lui survit tant bien que mal – a-t-elle plus d’avantages que d’inconvénients à rester dans un pays en déclin, voire devenu faible ? Pour l’heure, écrasée d’impôts, elle se voit dénier le droit à avoir le droit français dès que la République lui impose un projet d’Etat – on l’a vu encore avec Notre-Dame des Landes  mais elle est sous la protection d’un pays qui était encore une puissance nucléaire, 2e ZEE mondiale, avec un rayonnement culturel et linguistique très fort, et faisant partie du cercle très fermé de pays auxquels on pardonnait toutes les insolences. Des possibilités que la France a mis des siècles à construire et dix ans de volonté gaullienne à réaliser; ce processus serait aussi très long, voire impossible pour une Bretagne qui aurait gagné son indépendance. Les citoyens Bretons étaient donc de fait plus avantagés – par exemple dans leurs affaires, comme Pinault et Bolloré – s’ils étaient français plutôt que seulement Bretons.

Le déclin net du poids de la France sur la scène internationale, l’érosion du français par rapport à l’anglais global ou aux autres langues véhiculaires – espagnol, arabe, russe ou chinois –, la dislocation de la Françafrique du fait de la concurrence acharnée des dollars du Qatar et de la Chine et l’incapacité grandissante de l’élite politique française, incapable d’initiative, d’adaptation et d’indépendance, mène à rien les avantages relatifs que les Bretons pouvaient tirer de leur attachement à la France. Que leur reste-t-il ? Les impôts et l’asservissement tant politique que culturel, social ou économique. C’est pourquoi le regain – au sens d’une reconquête de l’indépendance et de la stature de la France – est une impérieuse nécessité, tant pour la France elle-même que pour les Bretons eux aussi, et ce regain ne passera que par une révolte massive des citoyens contre l’élite politique et sociale qui les pousse à l’abîme. Ce cri du cœur s’appelle de nos jours le Printemps Français, auquel la Bretagne n’est pas indifférente. Nous en parlerons la fois prochaine.