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La chapelle Sainte-Anne à Sainte-Anne sur Brivet, un monument Seiz Breur

6 Nov

S’il est un art Breton à retenir, c’est le formidable élan d’artistes Bretons des années 20 à 40 qui se sont unis en une corporation, nommée les Seiz Breur du nom d’un conte gallo, et qui ont décidé de mettre leur talent au service d’un art authentiquement Breton, qui romprait avec la biniouserie et les chapeaux ronds, et qui propulserait la Bretagne vers la modernité de la création artistique. Un monument du tout début de cet élan artistique se trouve dans la petite commune de Sante-Anne sur Brivet en Loire-Atlantique.

Il s’agit de la chapelle Sainte-Anne, à l’entrée du bourg côté Quilly, à l’est. Elle est remarquable à deux titres : c’est la chapelle qui a fondé la commune et elle abrite la dernière chaire extérieure installée en Bretagne.

Aux origines de Sainte-Anne de Campbon

La chapelle au XIXe

Le 26 novembre 1679, Armand de Cambout (duc de Coislin dès 1663, et époux de Magdeleine de Halgouët de Kergrec’h), fait don d’une lande à la frairie de Brivé, en Guenrouët, pour y fonder une chapellenie dédiée à Sainte Anne. Suite à l’accord ratifié le 17 mars 1685 par Gilles de Beauveau, évêque de Nantes, la chapelle est édifiée et bénie le 1er mai 1685 par le recteur Robert Dallivert. La nouvelle chapelle a été demandée par les habitants de la Turcaudais et de Brivé pour leur desserte, le prêtre Cran natif de la Turcaudais participe à l’érection de la chapelle, autour de laquelle un village se forme. La chapelle est brûlée en 1793 puis reconstruite en 1822.

En 1842, elle devient église paroissiale, et est agrandie d’une nef et d’un chœur provisoires en 1856. En 1861, décision est prise d’abattre les agrandissements déjà en piteux état et d’en employer les matériaux à la nouvelle église, érigée à 500 m de là en direction de Pontchâteau. L’année suivante, la place entre les deux lieux de culte devient un champ de foire (ce qui a son importance pour la suite) et un mur pignon est construit à l’ouest pour refermer la chapelle, qui connaît par la suite des travaux de réparation en 1892. Entretemps, le village se sépare de Campbon et devient commune indépendante fin 1875. Elle ne prend son nom actuel, Sainte-Anne sur Brivet, qu’en 1980.

Un architecte nantais en relations étroites avec les artistes Seiz Breur

Vue en coupe de la chapelle – plan René Ménard

Côté sud – plan René Ménard

Quoi qu’il en soit, en 1922, la chapelle est en assez piteux état pour que la commune envisage sa restauration et vote un crédit de 15.000 francs pour ce faire. Une souscription est organisée parmi les 1420 habitants du village et rapporte 25.000 francs. Une subvention de 5.000 francs est accordée par le Conseil Général et l’architecte nantais René MENARD  choisi pour reconstruire l’édifice. Il décide de le faire « avec les matériaux les plus simples, ceux du pays dans tous les cas où ce sera possible » (lettre du 2 février 1923) et comme c’est alors l’usage, la paroisse fournit une partie du bois, les pierres et les ardoises afin de diminuer la dépense. Les travaux atteignent, sans déduction des rabais et des fournitures, un montant de 50 378 francs. L’entrepreneur de Pontchâteau RICORDEL est déclaré adjudicataire le 22 avril 1923. Les travaux sont achevés en 1926.

Porche sud et chaire extérieure – plan René Ménard

Côtés sud et est de la chapelle – 2012

La chapelle Sainte-Anne de Sainte-Anne sur Brivet était jusque là restée inconnue des spécialistes du mouvement Seiz Breur … et pour cause ! L’architecte René Ménard ne fait pas partie des Seiz Breur, du moins, pas officiellement, mais il est en contact étroit avec le brodeur et sculpteur Jorj ROBIN, l’un des fondateurs du mouvement, avec qui il signe un calvaire situé près du château de Trévarez à Saint-Goazec (Finistère). Par ailleurs, le nazairien René-Yves CRESTON, autre fugure fondatrice des Seiz Breur n’est pas un inconnu pour René Ménard, ni pour sa fille, qui tisse des relations bien plus étroites avec les Seiz Breur puisqu’elle expose ses créations avec eux.

Il ne faut pas confondre René Ménard avec Ferdinand Ménard qui a fait la façade de l’Hôtel de la Duchesse Anne à Nantes (1937), bien mal en point. Ce dernier, qui ne faisait pas partie non plus des Seiz Breur, trouvait aussi son inspiration dans ce mouvement artistique. René Ménard, quant à lui, a réalisé plusieurs commandes pour le papetier Bolloré dans le Finistère, a commencé avant guerre la restauration du château de Saint-Mars-la-Jaille, mais affectionnait surtout les constructions d’églises. Il participa notamment à l’ajout du clocher de Saint-André des Eaux, à des édifices religieux à Pornichet, Saint-Brévin, Orvault ou à l’achèvement de la restauration de Notre-Dame du Roncier à Josselin, commencée par son père René Michel Ménard. Enfin on lui doit deux monuments emblématiques de l’art religieux breton du XXe, Sainte-Thérèse à Nantes, achevée après-guerre, et le Mémorial de Sainte-Anne d’Auray pour lequel il fédéra une équipe d’artistes Bretons et de proches : sa femme broda entièrement à la main la grande nappe de l’autel consacré en 1937, l’une de ses filles, Marie-Antoinette, dessina le carton du vitrail central de la crypte. L’entrepreneur Franchis Huchet et les sculpteurs Xavier de Langlais et Jules-Charles le Bozec furent tout aussi enthousiastes.

La dernière chaire extérieure de Bretagne

Cuve de la chaire – 2012

Accès à la chaire depuis l’église

René Ménard, quand il reconstruisit la chapelle, déclara le faire selon « un projet de restauration qui conserve l’aspect général et les caractéristiques du monument existant, auquel la population est justement attachée par une longue tradition » (lettre du 2/2/1923). De ce fait, la chapelle a une nef rectangulaire suivie par une abside à trois pans, et est surmontée d’une flèche en charpente. En revanche, l’architecte ajoute un porche au sud et une chaire extérieure. Le porche couvert d’un dôme à l’impériale est exécuté, de même que le porche de la façade, dans le style breton de la fin du XVIIe siècle, probablement pour rappeler la filiation avec la première chapelle fondée en ce lieu en 1679, à l’époque où un autre du Cambout de Coislin propulsait le diocèse d’Orléans dans la contre-Réforme.

Les chaires à prêcher sont créées à partir du XIIIe siècle en Italie. Elles suivent le renforcement de la Foi et remontent vers le nord de l’Europe, et sont majoritairement placées dans les églises. Cependant, certaines églises ouvrent sur de grandes places et des chaires extérieures sont construites pour prêcher lors des grandes cérémonies religieuses et les foires. C’est le cas, en Bretagne, de la Cathédrale de Nantes (chaire extérieure à l’angle sud-ouest de la façade), des églises de Fougères, de Vitré, du Guerno, de la collégiale de Guérande. Toutes ces chaires sont du XVe ou du XVIe siècle. Par ailleurs, le promenoir ou plateforme sommitale de certains calvaires, notamment à Kerinec (29) et Plougrescant (22)  sert aussi de chaire extérieure. Le calvaire de Pontchâteau (XVIIIe-XIXe) en tient aussi lieu. Du haut de ces chaires, des prêcheurs itinérants comme Louis-Marie Grignion de Montfort ou les capucins en mission prêchent aux foules assemblées et exaltent leur foi, chassent de leurs esprits leurs erreurs et éclaircissent au plus grand nombre les passages obscurs du message divin.

Vue de la chapelle – 2012

Intérieur de la chapelle

Or, en 1862, l’esplanade rectangulaire qui s’allonge entre la nouvelle église et la vieille chapelle Sainte-Anne est transformée en champ de foire. Par ailleurs, il est fort possible que la chapelle rénovée avec les moyens et le dévouement des paroissiens allait devenir un second centre spirituel pour le village. D’où la nécessité logique d’une chaire extérieure. Constituée de blocs de granits à joints épais, elle est posée en 1925 et accessible depuis le sud de la chapelle par trois marches de granit. C’est la dernière chaire extérieure jamais installée en Bretagne et elle se trouve dans une chapelle dont l’intérieur comme l’extérieur affirment avec clarté l’appartenance de la Loire-Atlantique à la culture et à l’art Bretons.

Si un jour vous veniez à passer à Sainte-Anne sur Brivet par la route de Quilly à Pontchâteau (D43), avisez cette modeste chapelle en moellons et granite, abritée sous son chêne, et dont le bas des murs repose dans des coussins d’hortensias. Le signe de croix protège trois fois l’édifice, sur le clocher, sur le mur sud près de la chaire, et devant le chevet, avec la fruste croix formée de deux segments tronconiques de granit. La chaire, cuve modeste, est dans l’encoignure entre le mur de la nef et le porche sud. Ce porche qui reprend la fonction des anciens chapitreaux de nos églises, ces porches abrités des vents sous lequel le conseil de paroisse se réunissait pour décider de l’entretien de l’église. Et si elle est ouverte, entrez dans la nef aux murs nus, qui poussent les regards à converger vers le chœur, dont le mur du fond est tapissé d’hermines, derrière la statue de la sainte. Une modeste chapelle  qui est l’une des  premières fleurs du mouvement Seiz Breur, qui de 1923 à 1950, révolutionnera tous les domaines de l’art en Bretagne, éclatera en une moisson jamais vue depuis quatre siècles de clochers et de d’oeuvres, pour la plus grande gloire de la Foi et de la Bretagne.

Remerciements : L’auteur remercie MM. Daniel Le Couëdic, Philippe BONNET et le maire de la commune de Sainte-Anne sur Brivet Philippe BELLIOT pour leur disponibilité et leur aide.

Note : Cet article a été publié originellement pour le Flochington Post.