Depuis hier, le pouvoir essaie à nouveau d’enlever la zone projetée pour l’aéroport de vive force. L’ordre est venu de Paris : Ayraultbespierre joue son gouvernement sur l’affaire Notre-Dame des Landes. Signe que les 30 à 40.000 manifestants de samedi ont échaudé les consciences hors de Bretagne.
Hier, près de 2.000 gardes mobiles ont déferlé sur la ZAD pour venir à bout du chantier de construction d’un village, nommé la Châtaignerie à l’ouest du Bois de Rohanne, raser la maison du Rosier, expulsable depuis hier matin, et un autre lieu occupé. A la fin de la journée, seule la maison-ferme du Rosier était par terre avec ses annexes, sauf le hangar à foin encore loué à un paysan et plein de foin. Nous savons maintenant de source sûre que deux tracteurs qui protégeaient la maison ont été sciemment dégradés par des membres des forces de l’ordre.
Légalité contestée de l’opération du 23 novembre
Le terrain sur lequel se trouve le village collectif de la Châteignerie (ou de la Chat Teigne) est un terrain privé, appartenant à un propriétaire qui a reçu l’arrêté d’expulsion, mais pas l’indemnité de la société AGO, qui ne lui est parvenue qu’à vendredi midi, dans l’urgence. L’opération lancée dans la matinée est donc illégale. Les constructions ont été réalisées avec son accord, le terrain était donc à priori exempt de toute possibilité d’expulsion.
Voici l’arrêté préfectoral qui a justifié l’intervention sur ce terrain. En substance, le préfet motive l’opération par l’illégalité des constructions en bois d’une superficie au sol supérieure à 20 m². Etant donné que le maire, qui a des pouvoirs de police en la matière, et qui pouvait prendre un arrêté prescrivant leur démolition, n’a rien fait, le préfet se substitue à lui après 24h de silence. A priori irréprochable en droit. Poursuivons. Le préfet estime que la construction de ces maisons « a pour seul objet de compromettre la réalisation du projet d’aéroport » (…) et constitue donc « un trouble manifestement illicite », « l’urgence de faire cesser les travaux dispense l’administration de mettre en œuvre la procédure contradictoire préalable », comme l’y autorise la loi du 12 avril 2000 dans les situations d’urgence.
C’est-à-dire que l’administration préfectorale s’autorise à passer outre l’obligation d’information du citoyen, la motivation factuelle et juridique de sa décision, les moyens que le citoyen a pour la contester. Autrement dit le préfet a dénié au propriétaire concerné et aux occupants des cabanes leur droit juridique le plus élémentaire : celui de se défendre et de savoir pourquoi la décision de détruire a été prise. Le propriétaire ne l’a pas entendu de cette oreille, a fait constater par huissier le matin du 23 novembre l’irruption des forces de l’ordre sur son terrain et a porté plainte.
La ZAD tient toujours
Michel Tarin, « vieux de la vieille » de la lutte anti-aéroport, contacté par BreizhJournal, a compté « 69 fourgons de gardes-mobiles sur la route de Vigneux, au sud de la ZAD », et « autant au nord » à 21 h 50 », soit l’équivalent de 1400 gardes-mobiles sur place. Les gardes-mobiles avaient l’intention de passer la nuit sur place, plusieurs témoins les ont vu « stocker des caisses de grenades assourdissantes dans l’une des cabanes de la Châtaignerie », information qui nous a été confirmée de source policière. A 22 h 30, il y a encore des tirs tendus de flashball et de grenades lacrymogènes effectués en pleine nuit, à l’aveugle, par les policiers sur des opposants qui tiennent toujours une partie du Bois de Rohanne et ses arbres.
Hors de la ZAD, plusieurs dizaines d’opposants ont occupé de 16 h le 23/11 à deux heures du matin la mairie de Saint-Affrique dans l’Aveyron (sénateur-maire PS), avant d’en être délogés par les CRS. Une trentaine de personnes à Rouen, une cinquantaine à Quimper et à Poitiers, près de 80 à Nîmes – où trois personnes ont été reçues en délégation à la Préfecture – deux cent à Nantes, une centaine à Lille et à Quimper, six tracteurs et cent personnes à Châteaubriand, autant à Angers – sans tracteurs – se sont rassemblés le 23 novembre pour protester contre les expulsions. Aujourd’hui, deux manifestations ont déjà réuni une cinquantaine de personnes chacune à Privas (Ardèche) et à Laval, l’une devant la préfecture, l’autre devant le local PS. D’autres manifestations ont lieu à Bordeaux, Morlaix ou Grenoble, Brest ou la Rochelle, en solidarité. De nombreux cars et covoiturages partent de divers points de la France et de l’étranger pour soutenir l’effort de la ZAD, qui connait un nouvel afflux de volontaires. Par ailleurs, le syndicat SUD rural aurait rejoint la lutte et a envoyé aux 5.000 fonctionnaires du Ministère de l’Agriculture un mail pour expliquer ce qui se passe vraiment à Notre-Dame des Landes.
Ce matin, l’information a repris à 8 h 40, avec le bouclage du secteur compris entre la Châtaignière, à l’ouest, la Saulce, au sud, sur la RD81, et la Rolandière au nord. Tous les carrefours routiers entre Vigneux et le Temple de Bretagne sont tenus à 9 h par les forces de l’ordre, quinze fourgons de gardes mobiles barrent le large chemin de Suez. A dix heures, deux pelleteuses et deux manitous entrent dans le Bois de Rohanne, l’une d’elle s’embourbe rapidement, à dix heures 25 les policiers avouent leur lassitude, alors que le bouclage policier s’intensifie. Les carrefours stratégiques des Ardilières (au nord) et du Bois Rignoux, au sud, sont bloqués, l’accès reste possible à pied. Vers onze heures, après avoir chargé au gaz poivre les militants nus qui protégeaient les arbres où se trouvent cabanes et matériels, les policiers commencent à envoyer les grimpeurs à l’assaut des arbres.
Six blessés parmi les opposants à l’aéroport
Voilà comment les militants résistent aux forces de l’ordre. Dénudés et désarmés.
A 11 h 30, une personne est arrêtée par les forces de l’ordre dans le Bois de Rohanne. Un conducteur de machine, noyé par le gaz lacrymogène, refuse de continuer le travail. La barricade dressée pour protéger le chantier de reconstruction, au sud-ouest du bois, résiste. Trois opposants à l’aéroport sont blessés « 2 par tirs de flash ball à la jambe et à la main, et 1 par grenade assourdissante à l’oreille». A 13h, la ZAD annonce quatre arrestations, dont une d’une personne tombée d’une cabane perchée. Il y aurait aussi trois blessés de plus, par tirs tendus de flashball, « touchés à la paupière, au mollet, au foie». A 14h 15, sept cabanes sur les dix de la forêt ont été détruites, la dernière l’est effectivement une heure plus tard. Les policiers contrôlent en apparence le bois, mais il y a quinze militants perchés dans des arbres et plus de 400 au sol. Pendant ce temps, à la Châteignerie (la Chat Teigne), des militants occupent les toits de plusieurs cabanes et ont repris le chantier de reconstruction. Ailleurs, d’autres chantiers continuent, malgré l’important déferlement policier, Notre-Dame des Landes tient toujours.
Les drapeaux Bretons flottent sur Nantes
Manifestation à Nantes – photo de @BuetDan
A 16h00, les dégâts faits à la Châteignerie par les policiers hier sont réparés; à Quimper, le collectif local de soutien appelle à construire partout des cabanes en soutien à Notre-Dame des Landes, « 36.000 communes, 36.000 cabanes« . Les barricades sur le chemin de Suez et dans le Bois de Rohanne résistent, à 17 h 27, les dernières sommations sont faites par les forces de l’ordre aux barricades. Celles-ci continuent à résister, tandis que des riverains et paysans en colère prennent en écharpe les forces de l’ordre le long de la RD81. A partir de 18h00, les gardes-mobiles sont forcés de décrocher, ils se replient en lançant des grenades assourdissantes pour protéger leur retraite. A 19h 10, leur retraite s’achève, il n’y a plus d’explosion à Notre-Dame des Landes. A Nantes, vers 17h00, une manifestation spontanée réunit 8 à 9.000 personnes devant la Préfecture. Nous joignons ses services à 18 h 40, la désorganisation règne, « C’est la panique ici », nous confie un policier de permanence. Au-dehors, à côté des drapeaux de la CNT, « flottaient de nombreux drapeaux Bretons », écrit Le Monde dont le correspondant fait état de quelques jets de projectile et d’une nombreuse affluence qui criait « On a gagné, on a gagné« , et « Ayrault, salaud, l’aéroport, ton électorat n’en veut pas« . Cette manifestation s’est dispersée vers 20 heures, alors que les policiers commençaient à bloquer Nantes, craignant une situation quasi-insurrectionnelle. Vers 19h00 les ministres de l’Agriculture, de l’Environnement et des Transports ont annoncé que les travaux de défrichage seront repoussés de six mois, le temps de parfaire les mesures de protection de l’environnement; pendant ce temps-là, les policiers quittent Notre-Dame des Landes. Ce soir, par sa détermination, la ZAD de Notre-Dame des Landes a gagné un premier sursis. Une première victoire au bout de cinq semaines de lutte.
Quand les gendarmes bloquent l’accès aux pompiers
Rien que sur la journée d’aujourd’hui, les occupants de la ZAD dénombrent « une dizaine de blessés« , d’après l’équipe médicale. Ce qui va « des personnes qui ont pris des éclats de grenades, dont une près de l’oeil, et d’autres des impacts, dont une au thorax« . Les ZADistes ont fait ce qu’ils ne font qu’en dernière extrémité, c’est à dire quand leur équipe médicale ne suffit pas à l’ouvrage, appeler une ambulance pour évacuer vers les urgences leur blessé grave, qu’ils ont amené à la Vach’rie (les Domaines). Les pompiers sont venus depuis le sud, et ont été bloqués par les gendarmes sur la RD81 entre la Saulce et la Rolandière, à 300 m. Et ils ont mis une demi-heure à faire ces pauvres 300 mètres. Pour évacuer un blessé dans un état grave. L’on se demande parfois si Notre-Dame des Landes est encore en France, dans un état de droit, ou si c’est vraiment une « guerre » que le pouvoir mène contre les Bretons et contre leur environnement, contre cette Bretagne méridionale qui a fait l’affront de chouanner contre la République, les centrales nucléaires (deux en vingt ans, de 1976 à 1996) et maintenant contre l’aéroport de Notre-Dame des Landes. Mais même si le sursis accordé au défrichement n’est que relatif, et n’est pas encore un sursis accordé à Notre-Dame des Landes, il témoigne de l’intense hésitation du gouvernement devant l’immense mobilisation contre le projet d’aéroport. Contre Notre-Dame des Landes, ce soir à Nantes où les drapeaux qui représentent un avion barré de rouge et les hermines sont maîtres de Nantes, une nation se lève à nouveau : la Bretagne.
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