La mobilisation contre le mariage homosexuel a réussi ses deux paris : être plus que la dernière fois – 1 million 400 000 personnes au moins – et prendre les Champs Elysées. Malgré l’arrêté liberticide d’un tribunal administratif à la solde d’un Etat bien peu démocratique. BreizhJournal était aux premières loges, au cœur du mouvement, et vous relate sa Manif pour Tous.
13h09 : Sur l’esplanade de la Défense, trois jeunes filles de Meaux, en brassard jaune du service d’accueil volontaire de la Manif pour Tous, chantent un cantique. Des petits groupes, des familles, s’écoulent à petits flots sur Paris. Un drapeau de l’Anjou passe, là une pancarte du Gâtinais. Bertrand, chef de secteur – responsable de plusieurs équipes d’accueil et de direction – commente, juché sur un dé en béton « le rendez-vous, normalement, c’était 14h. Mais ce qui me surprend, c’est que les gens se mobilisent depuis hyper-tôt, et n’arrêtent pas de s’écouler vers Paris depuis midi. ».
« Qu’on nous écoute enfin »
Porte Maillot – Les Bretons à l’assaut de Paris
13 h 17 : Au ras du pont de Neuilly, vidé de ses voitures, Sabine, de Lille, Marcelle, de Lyon et Léa d’Aix déjeunent sur le pouce. Trois femmes, trois générations, trois visions de la France représentées dans la manifestation. Une France qui ne se résigne pas à « ce qu’on abatte la nature, que l’on ignore la démocratie, la volonté du peuple ». Une France qui n’hésite pas à faire des centaines de kilomètres pour faire entendre sa voix, « même si l’on commence à en avoir marre », remarque Léa. D’Aix à Paris, ce n’est pas la porte à côté. Un TGV double rame est parti de la cité provençale ce matin. Rempli de manifestants.
13 h 30 : du monde il y a, sous le tunnel de la RN13 après le pont de Neuilly ! Et d’un même élan, ces manifestants du Gers et de la Seine-et-Marne s’écrient, « Hollande, ta loi, on en veut pas ». Sifflets et cornes de brumes font trembler l’air du tunnel. Croix occitanes et drapeaux bleu-blanc-rouge en tête, c’est tout un peuple révolté qui se jette sur Paris. Une affiche scotchée aux arrêts de bus prévient les habitants de Neuilly que « la circulation peut être impossible entre le nord et le sud de la ville » à cause de la manifestation. Ce qui ne les changera pas de la RN13.
Basques et Bretons côte à côte avenue de la Grande Armée
13 h 44 : Porte Maillot. Bienvenue dans Paris. On croise la banderole de l’Aveyron, qui explique la filiation papa+maman en moutons. En marchant d’un bon pas, nous rejoignons les Bretons, en traversant en biais la place. Ici, le Morbihan. Là, le Finistère, grand Kroaz Du en tête. Hérissés d’hermines, costarmoricains et nantais mêlés défilent, bras dessus, bras dessous et à grand bruit. L’Ille et Vilaine est quelque part, criant, « Du boulot, pas de mariage homo ». M. de Kersabiec, maire honoraire de Saint-Brieuc de Mauron et deuxième vice-président du conseil général du Morbihan, est dans les rangs, avec une adjointe de Plouharnel. Le Morbihan a envoyé des dizaines de cars et participé au remplissage d’un TGV complet parti ce matin de Nantes, pour l’ensemble de la Bretagne.
14 h 01 : Un régiment de Basques. Bérets, drapeaux, et là les lions de Normandie. Bannières des monts du Lyonnais, des paroisses, des pays. La Grande Armée de ses visages, de ses identités diverses, déferle dans Paris. Une bouteille de rouge à la main, Laëtitia et Jacques, de Lisieux, sont venus avec un groupe d’amis, pour « marquer [leur] volonté déterminée d’être entendus. Si le 17, le 18 novembre, si le 13 janvier, là haut ils sont restés sourds, cette fois ils en auront les oreilles cassées. Il paraît que le peuple est atone, qu’il se fout de tout ? Et s’ils l’écoutaient un peu ?! »
14 h 25 : L’on se masse au bout du bout de la manifestation, près du podium, au coin de la rue de Presbourg et de l’avenue de la Grande Armée. Sans empiéter sur la petite rue veillée par la carcasse roussie de l’Arc, un restaurant-club institution du Paris nocturne qui a flambé. Au podium, les intervenants se succèdent. Les élus affluent, écharpes au vent. Les juges et les avocats se forment en carré.
A la conquête de l’Etoile
La percée vers l’Etoile. Le drapeau Breton n’a cessé d’être à l’avant du mouvement, guidant la poussée.
14 h 45 : ça commence à pousser. Un petit pack de Bretons et de Normands déterminés commence à avancer. Derrière, le flot tendu de la manifestation appuie leur élan. Du bout de l’avenue de la Grande Armée au pont de Neuilly, quatre mille mètres d’avenues noires de monde. Et ça afflue, encore et encore. Qui osera dire qu’ils sont 300.000 ? Luc, de Dinard, s’exclame « J’en ai fait des manifs. C’est la première où les gens ne l’ouvrent pas pour défendre leur pomme, leurs intérêts. C’est génial. » Son drapeau Breton, perché sur une hampe, nous servira de phare. Pour l’instant, le pack avance de 5 mètres, repoussant le cordon du service d’ordre de la manifestation pour tous. Il prend pied sur la rue, et est peu à peu renvoyé à sa position initiale. Un Périgourdin et quelques Bretons rejoignent la formation.
15h00 : Le service d’ordre de la manif recule, jusqu’à la barrière. Le carreau de la rue de Presbourg est conquis. Et ça pousse, un élan, un cri « aux Champs ! aux Champs ! aux Champs ! ». Quelques CRS installent deux rangs de barricades, se postent. Tonfa, matraques, tenue anti-émeute. Lions et hermines côte à côte se préparent au combat.
15h 08 : A l’attaque ! Renversant les barricades, la petite formation s’élance, culbutant en vrac deux rangs de ganivelles, six CRS, puis d’autres policiers au débouché de la place de l’Etoile. Sidération dans les rangs des forces de l’ordre. Le trafic n’est même pas interrompu sur le rond-point de l’Etoile. L’appel d’air ramène d’autres manifestants, un élan jeune, blond, plutôt bourgeois. Quelques coups de matraques tombent. Rien pour briser l’élan, l’Etoile est prise, la tête de la manifestation est auprès de l’Arc, rapidement entouré de barricades par les forces de l’ordre. Sans violence, les manifestants s’écoulent autour et se placent face aux Champs. Camions de gendarmes mobiles et de CRS ardennais se rétablissent au-devant de l’avenue. Barrières, boucliers, cuirasses. Il est 15h 12.
Prendre pied sur les Champs
Hollande a réussi l’inimaginable : mettre les bourgeois dans la rue.
15 h 15 : L’Etoile se remplit peu à peu. Que des jeunes. Quelques mère-grand aussi, des familles, des poussettes. La manifestation est là, la soupape de sécurité ouverte à droite profite à tout le monde. Encore une minute, et il y aura assez de monde pour soutenir un élan nouveau. Le drapeau Breton est là, à gauche, puis à droite. Vlan ! nouvel élan, gendarmes débordés, barrières renversées et tournées, la manif darde sa tête de pont sur les Champs, envahit l’avenue Marceau, l’avenue de Friedland. Les Champs, les Champs, exultent les jeunes, et crient plus fort, toujours plus fort sous le ciel de Paris, vers les fenêtres de Flamby « Hollande, dictateur ! Hollande, démission ! »
15h20 : Là devant, il y a un os. Camions de CRS, barrières anti-émeutes, policiers déterminés à barrer les Champs. Ils en ont reçu l’ordre : sauver la face, coûte que coûte. Le Gwen ha Du attaque seul la grille, voici la Bretagne déterminée à passer. Pas de péages chez nous, pas de barrières devant nous. Une percée nouvelle se forme. L’on est aspiré dedans, devant à gauche. Les gardes mobiles écrasent les manifestants, les forcent au repli, tapent dans le tas sans ménagement. Les coups de tonfa tombent comme à Gravelotte. Et la lacrymo, le poivre. Une bombe, en pleine face. On ne passera pas. Ils ont gazé des bébés, des enfants, des jeunes.
Après les gaz
Mais la nuée à peine dissipée laisse apparaître une vision sidérante : des bourgeois à l’assaut de grilles, de l’Etat policier. Des jeunes filles en foulard Hermés et sac Lancel, venues en voisines, qui crient « à bas Hollande, libérons les Champs ! » et tentent une nouvelle percée avec la détermination d’un agriculteur morlaisien en colère. Ce ne sont plus les Champs, mais la bande de Gaza. Les vols de pavés en moins. Deux soixante-huitards se disent « ça me rappelle ma jeunesse ». Clang, boum, un coup de matraque chacun. Mourad, un jeune homme venu du Blanc-Mesnil, se tord par terre de douleur, du gaz plein les yeux. Marie-Liesse, de Suresnes, le panse avec ses amies. Gonzague rejoint l’avant-garde en coup de vent, confiant « on va pousser peu à peu, on va passer, ils n’ont pas le choix », dit-il. Une pensée, alors que des milliers de personnes font du début des Champs le nouveau point d’appui de la manif : on descendra les Champs Elysées. Coûte que coûte. Devant les grilles, ce n’est pas cent, ni deux cent personnes. Nous sommes une dizaine de mille. Entre le début des Champs et toutes les voies avoisinantes.
Et l’on a fait les Champs
16h00 Devant les policiers et leurs grilles, les percées et les vagues de gaz se multiplient. Fixées là, les forces de l’ordre en oublient les rues adjacentes. Pas tout à fait cependant. Un demi-millier de personnes s’engouffre à gauche, puis à droite rue Houssaye. Une marée de jeunes, qui bute sur l’arrière du dispositif policier. Gaz, gaz ! La rue retentit de cris. Ils chargent, tapent, bloquent. D’autres CRS viennent se placer derrière. Souricière. Dans la rue il y a les « 300 membres de l’extrême-droite » fantasmés par M. Valls. En fait ils ne sont pas même quinze. Cinq du GUD Lyon, un identitaire, une dizaine de Jeunes Nationalistes et Renouveau Français mêlés. Et cinq cent autres jeunes, entre deux cordons de CRS qui les prennent en étau. Nouvelle charge sur deux fronts, les manifestants sont pris entre deux feux, ça tape de partout, mais les forces de l’ordre finissent par être contraintes au repli de part et d’autre. Une jeune fille gémit à terre. Un caméraman italien déjà bien gazé sauve de justesse son outillage de l’affrontement. « Nos deux unités et demi tiendront », annonce un CRS dans son talkie. « Gaz, dernier recours », en crie un autre. Faux, ce sera le tout premier. Et souvent sans aucune utilité. Il y aura plusieurs dizaines de blessés et de gazés à cause de la réponse disproportionnée des policiers.
Pique-nique gersois sur les Champs
16h30. Nous nous dépêtrons difficilement du piège, après une demi-heure de pressions policières en tous sens, là et ailleurs. Au milieu de tout cela, Paris continue à vivre, mais au ralenti, suspendu aux nuées de gaz, aux cris, aux mouvements et contre-mouvements. Remonter la rue Lord Byron, doubler des gardes mobiles sidérés. Replonger sur les Champs rue Balzac. Là, c’est grand ouvert. Passés par la droite, par les rues Vernet, Gallilée, Bassano, les manifestants ont largué en chantant les policiers et atteint les Champs. Victoire, victoire, et redoublement de slogans et d’appels, alors que la plus belle avenue du monde se remplit peu à peu de manifestants. Le drapeau Breton est devant, avec d’autres. Ils sont maintenant des milliers à plonger vers le cœur de Paris. A nous, la Ville.
16 h 52 : Une bande de gersois, de garonnais, montalbanais et autres basques pique-niquent au beau milieu des Champs. Apéro pinard, saucisson, comté. Drapeau de la manif perché dans une bouteille, scène champêtre en pleine manif. « Quand on s’est installés, il y avait encore personne, que des camions de CRS en parking », explique Eloi, de Capdenac. « On l’a fait juste pour marquer le coup, comme quoi on était sur les Champs ». Après huit heures de train, voilà qui faisait du bien. Et la manif les a rattrapés, la vague populaire qui descend maintenant d’un bon pas vers les Tuileries. Dans leurs camions, les rares CRS qui y sont encore, regardent, impuissants, la marée humaine.
17h 44 : Jean-Jacques vient en famille du Pays de Retz, dont le drapeau est au-dessus de son sac à dos. En bas des Champs, il se dit « heureux, mais heureux ! ». On vient d’annoncer les chiffres. 1.4 Millions selon les organisateurs. Mais ils ne peuvent avoir tout le monde. Ils ont commencé à compter au moment où la percée se faisait, décisive, vers l’Etoile. 300.000 selon la police. Sur un portable brandi par une jeune fille tourangelle, une photo de la manifestation, un message « 300.000 pour les flics. Mais LOL ».
Les Champs Elysées bien remplis près du rond-point Marcel Dassault. Oui, la manif y est allée.
18h28 : La manif se masse devant un barrage de CRS, au rond-point Marcel Dassault. Les forces de l’ordre sont nerveuses. Hollandouille S.A.R.L, c’est à 100 m à gauche en bas du carrefour. Il entend les cris depuis l’Elysée, le cri de la foi du peuple jeune, qui refuse de se laisser démonter par une loi – chiffon rouge, une loi inutile et non prioritaire qui se voudrait même supérieure à la raison, à l’ordre naturel des choses. Charge, percée, gaz, gaz, gaz. La Marseillaise chantée entre chaque élan, d’une voix, d’un peuple qui ne fait qu’une génération. Inès, de Lyon, vindicative, repart à la charge « les gens n’en ont pas assez de se faire gazer. Les Champs sont à nous. On y est par la volonté du peuple, on sortira virés par les chars ! ». C’est déjà la sixième ou la septième fois que votre dévoué serviteur est se fait gazer. On contournera, peu importe. A droite. Marignan, Montaigne. Marie-France de Lantivy, jointe par téléphone, est toujours à Porte Maillot, avec nombre de manifestants de Loire-Atlantique. C’est noir de monde de la Défense au rond-point Dassault. « La Loire-Atlantique a envoyé l’équivalent de trois A380 à la manif, en bus et trains, plus les covoiturages et les gens venus par eux-mêmes. L’affluence, c’est très bien, la percée sur les Champs, personnellement, je trouve aussi, et ce qui est sensationnel, c’est la qualité des intervenants du meeting ». Qui continue paisiblement, bien que la manifestation s’écoule maintenant librement sur les Champs, libres de policiers, qui se sont repositionnés au niveau de l’Arc de Triomphe, sans empêcher les manifestants de gagner l’avenue par des chemins de traverse.
La manif peu avant 19h
18h58 : Salut, ça gaze ? Barrage contourné. Des manifestants partout, s’éparpillent au revers des policiers. Dispersion ? Oui et non. Il y aura des gens sur les Champs jusqu’à neuf heures du soir. Des cars régionaux partout, une grande vague de mécontentement et d’attachement à la raison se propage dans Paris. Du bonheur aussi, beaucoup. La conscience d’un travail conséquent accompli. D’une première peut-être : Hollande a réussi à mettre les bourges et les cathos dans la rue, ce que personne n’avait réussi avant lui depuis près de trois quarts de siècle. Et à recommencer encore, s’il le fallait. Jusqu’à ce qu’il recule. Jusqu’à ce qu’il parte. Illégitime, il doit quitter la scène. Qui a dit que la France n’avait plus d’avenir ? Il était aujourd’hui dans les rues de Paris. On peut avoir à nouveau foi en la France, foi en la jeunesse, foi en leur résolution et leur courage. Vive la France !
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