Nantes : découvrez l’Hôtel de la Duchesse Anne, friche emblématique du centre-ville

20 Déc

Nantais, vous connaissez cet édifice. L’un des plus beaux monuments du XXe à Nantes, le plus connu élément d’Art Déco Breton (style Seizh Breur) devant le château, l’Hôtel de la Duchesse Anne. La veille, par une très belle journée, le sinistre démarre dans les combles du garage de l’établissement, se propage par l’escalier en bois jusqu’à la charpente et ravage tout. Cent vingt pompiers interviennent pour limiter cet incendie en plein centre-ville, qui ne fait aucune victime, les clients ayant tous pu quitter leur chambre.

En 2009 un acheteur se fait connaître pour l’Hôtel qui depuis cinq ans est rongé par les intempéries. Ses deux derniers étages ne sont plus, hormis les murs. L’humidité s’infiltre, les murs et les toits s’effondrent peu à peu. La façade de Ferdinand Ménard, construite en 1930 et classée, se détériore elle aussi. En 2011, les fenêtres des deux premiers étages sont remplacées. Un feu de paille. Enfin en juillet 2012, la propriétaire historique s’apprête à vendre ses parts à un investisseur qui veut transformer l’hôtel en logements ; ce projet a été confirmé en septembre 2013. L’intérieur sera entièrement curé, nettoyé, seuls les éléments historiques et les façades seront conservés.

Nous avons pu pénétrer (*) dans l’Hôtel de la Duchesse Anne et nous vous présentons en exclusivité les photos de l’intérieur de la bâtisse. Celle-ci semble être moderne, vue de la rue. En fait, on le constate dès le porche, ou côté cour, c’est une façade moderne qui a été accolée au vieil établissement, inscrit depuis 1873 sur le registre du commerce, et qui commençait alors à accuser son âge. L’hôtel affecte un plan en angle droit autour d’une cour rectangulaire, où se trouvait à l’ouest le garage, dans l’axe d’un porche dont les piliers sont taillés en diamants pour laisser passer les charrettes et les remorques. En retour d’angle, parallèlement au fond de la cour, se trouvent un hall éclairé par une verrière et derrière des communs en briques et bois, surmontés par les bureaux.

Au rez-de chaussée se trouvent la réception et les salons de l’hôtel. Le sol est couvert de débris, les vitres des fenêtres murées sont presque toutes cassées, des billes d’airsoft ont transformé le passage par le salon d’angle en un exercice d’équilibre périlleux. L’escalier d’honneur, juste à gauche du comptoir, est dans un triste état. Toute cette partie là devrait être restaurée à peu près dans sa splendeur passée d’après les ouvriers. Le niveau juste au-dessus est abîmé par le temps, toutes les portes baillent aux vents. Les papiers peints sont tombés, des plâtras jonchent l’escalier. Les petites chambres avec leur salle d’eau ou leur douche sur le côté sont mieux conservées sur le côté du château. L’aile en retour à l’est paraît n’avoir souffert que des squatteurs.

Retour à l’escalier, enfin, à ce qui était l’escalier. Une cage vide, à ciel ouvert, dont les quatre dernières volées ne sont plus, seules leurs traces balafrent la cage. Le dernier niveau arasé n’est plus accessible que par un escalier de service à demi-effondré, que nous n’emprunterons pas. Au péril de notre vie, nous nous risquons sur les deux dernières volées accessibles, tant bien que mal soutenues par des étais à défaut de rambardes. L’étage sur lequel elles donnent est lui aussi partiellement sous étais. Le hall qui s’ouvre sur l’escalier est recouvert de plâtras. Comme en bas, les portes sont presque toutes béantes, mais surtout un spectacle de désolation s’offre dans les chambres, dont le moindre équipement a été concassé. Cuvettes de WC brisées menu, cloisons arrachés, billes d’airsoft, tags sur les murs. Sur un mur, un dessin représente un fumeur de chanvre au look très BCBG hormis un manteau vert feuille de Marie-Jeanne. L’inscription précise « Ici sont passés une bande de jeunes défoncés ». Défoncés sont les murs, les faux plafonds, quand l’humidité ne les a pas fait s’effondrer avec leurs lattis,  défoncés sont les toits, défoncés sont les vitres, et depuis l’aile en retour on aperçoit la désolation de la cour, dont les toits pareils à des passoires sont couverts d’une véritable décharge de bâches, charpentes, pierres, briques, et autres débris de l’érosion du bâtiment depuis huit ans.

Et dire que c’est l’un des plus beaux monuments modernes de Nantes !  La dernière friche historique du centre ville – avec le couvent des Cordeliers rue du Refuge – et comme ce dernier une friche liée étroitement à l’histoire de Bretagne, à l’histoire de sa capitale que la France tente résolument de couper de ses racines depuis la création des Pays de Loire en 1975. Si le couvent des Cordeliers accueillait l’université de Bretagne, comme en témoignait une plaque escamotée lors de récents travaux, l’hôtel de la Duchesse Anne ne porte pas non plus son nom par hasard. Son triste état, son abandon, c’est une épine au cœur de nombreux Nantais, une atteinte insupportable au patrimoine commun d’une ville éprouvée par les Révolutionnaires et les Allemands, qui malgré toutes les destructions et l’irréparable sottise des hommes a toujours su renaître de ses cendres en portant avec elle, dans ses entrailles même, son histoire et ses vieilles pierres.

En 2014, notre Duchesse Anne aura rendu son dernier soupir depuis cinq siècles. Loin de sa ville, en terre étrangère, mais durablement marquée par la Bretagne. Blois, qui vient d’un loup breton (bleiz) du 5e siècle, est encore aujourd’hui une ville où l’on croise plus d’hermines que de fleurs de lys. Que penserait notre Reyne de France et de Bretagne de sa ville sous la coupe des héritiers politiques de Robespierre, arrachée à sa Patrie, privée de son histoire et sa fierté, cette ville que les flèches ne hérissent plus, cette ville où l’Hôtel qui porte son nom s’écroule et les herbes des champs prennent racine dans sa cour et son escalier ? De son Château annexé par les ennemis de la Bretagne pour leur propagande ? Sa ville que des étrangers forcent à la repentance éternelle, sa ville dont des étrangers veulent chasser le port à tout jamais – afin de frapper à cœur un peu plus encore la fierté du négoce Nantais. Sa ville dont les habitants bravent la tempête du siècle, leur fierté chevillée au cœur, pour ne pas perdre leur âme… Bretons à tout jamais.

 

 

(*) Cet article a été publié initialement en juillet 2012 sur un autre média indépendant breton, dont il a disparu en novembre de la même année. Nous le publions à nouveau, ainsi que ses photos, afin de répondre à des demandes incessantes de nos lecteurs. Bonne visite.

4 Réponses to “Nantes : découvrez l’Hôtel de la Duchesse Anne, friche emblématique du centre-ville”

  1. Maryvonne Leray janvier 7, 2014 à 12:32 #

    Merci pour ce rappel … quant à la repentance je suppose que vous voulez parler de commerce négrier … les habitants n’ont pas à se repentir les grosses fortunes … et vous savez j’avais une trentaine d’année quand on a enfin commencé à parler de cela … et c’était à faire … Mais Nantes forcée d’être ligérienne fait de nous des bretons plus que jamais …

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  1. Nantes autrement : Hôtel de la Duchesse Anne | Jimmy Photos - avril 7, 2014

    […] Cet hôtel a été inauguré en 1874 et fût longtemps considéré comme le plus luxueux de Nantes il comptait 70 chambres, en 2004 un incendie ravagea l’ensemble de l’édifice. Pour plus d’infos c’est —>Ici […]

  2. L’hôtel de la Duchesse-Anne n’est pas sorti de l’auberge | Actualités de Nantes - octobre 12, 2014

    […] Il y avait bien “péril imminent” à l’hôtel de la Duchesse-Anne. Le tribunal administratif de Nantes a rejeté la requête des propriétaires du bâtiment, qui contestaient la légalité de l’arrêté pris en ce sens par la mairie de Nantes en novembre 2012. La décision avait en effet obligé la société civile immobilière (SCI) Château des Ducs de Bretagne à prendre à ses frais treize mesures afin de garantir la “sécurité publique” des passants et du voisinage, comme le renforcement de la façade arrière, la suppression des tuyaux en fonte en façade ou encore l’arasement des cheminées. L’ancien hôtel – situé face au château des ducs de Bretagne et longtemps considéré comme le plus prestigieux de la ville – n’est en effet plus que l’ombre de lui-même depuis l’incendie qui l’a dévasté en 2004, comme le montrent certaines photos sur Internet. […]

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