Pour bien des gens, Ancenis se résume à son pont suspendu, et à la coopérative Terrena qui y a son siège. A ses zones industrielles au nord de la ville. A sa gare. Et pourtant, il y a un château remarquable, place forte des Marches de Bretagne, qui est l’une des clés de la Bretagne. Classé Monument Historique (MH) depuis février 1977, il est maintenant géré par la mairie. Sa gestion témoigne de la dérive incroyable de certains élus et de la faillite de la législation de protection du patrimoine, complètement détournée de ses objectifs.
Ici, le maire d’Ancenis – Jean Michel Tobie (UMP) et le Conseil Général (PS) saccagent le site main dans la main. Le projet a failli ne pas aboutir. En effet, c’était le maire d’Ancenis qui demandait expressément que le bâtiment prévu par le Conseil Général se construise dans la cour du château comme l’a déclaré Patrick Mareschal, le prédécesseur de Grosvalet à la présidence du CG44. « Pendant un certain temps, Mareschal a hésité, sans oser annuler le projet. Il était plutôt contre parce que pro-Breton, et que le bâtiment allait mettre en péril le projet de classement des châteaux des Marches de Bretagne à l’UNESCO qu’il soutenait. Son successeur est arrivé, celui-là n’en avait strictement rien à faire, et il a relancé le projet », témoigne un proche du dossier au Conseil Général de Loire-Atlantique (CG44). Cela dit, il y a une forte contestation locale au projet avec une association, l’A2PCA, qui mène courageusement la lutte contre le massacre à la bétonneuse. Sylvie Christophe, sa présidente, dénonce les « dérives de la législation » : il est par exemple étonnant – bien que autorisé par la loi française, et probablement réprimé par les droit européen de la concurrence – qu’un architecte MH préside le jury d’un concours d’architectes où il a soumis une offre, et que, plus étonnant encore, son offre soit choisie. Explication de texte par la Tribune de l’Art qui pointe de nombreuses dérives depuis la libéralisation du statut et du périmètre d’action de l’architecte des Monuments Historiques (ACMH) entre 2007 et 2009 sous la pression européenne.
L’A2PCA a introduit deux types d’actions judiciaires. Une, en référé, pour demander la poursuite des travaux. Celle-ci a été rejetée par le tribunal administratif, et tout récemment par la Cour Administrative d’Appel de Nantes, notamment parce que les travaux s’achèvent. Une autre sur le fond (à savoir la légalité du permis de construire), rejetée par le tribunal administratif, et qui doit maintenant passer en cour administrative d’appel courant 2013. Le Président du Conseil Général Philippe Grosvalet a clamé dans Ouest-France que l’action en référé a été rejetée au motif que le permis de construire est légal. C’est faire preuve d’une grave ignorance du fonctionnement de la justice administrative, puisque l’on ne saurait croire que M. Grosvalet veuille faire naître de fausses certitudes dans les esprits des habitants de Loire-Atlantique. La cour n’a pas statué sur le fond – elle le fera au cours d’une autre décision dans quelques mois. Elle n’a décidé d’une conduite que sur la suspension ou non des travaux, dans l’urgence. Urgence qui est d’autant moins visible que les travaux s’achèvent, le bâtiment étant livrable dans trois à six mois. Bref, le combat pour sauver le château d’Ancenis continue : l’avocat de l’A2PCA, Me Bascoulergue, a élevé plusieurs « arguments très précis » et qu’il se montre très pugnace, d’autant plus qu’avec l’évolution de la jurisprudence, le principe d’intangibilité de l’ouvrage public (« ouvrage public mal planté ne se démolit pas ») a été peu à peu démonté et l’on peut depuis 2003 détruire une construction publique mal plantée – ici le bâtiment du Conseil général – pour peu que sa destruction soit d’intérêt général – c’est-à-dire restituer la cohérence historique du site, être logique avec les impératifs de la politique de protection des MH et préparer le terrain à une restauration d’ensemble du site, actuellement fermé au public, pour le rendre aux touristes et au peuple Breton.
Alexandre Gady : « Ancenis est un échec tragique de la protection du patrimoine »
Pour Alexandre Gady, président de la SPPEF, la gestion du site d’Ancenis et la construction dans la cour d’un bâtiment moderne est un « échec tragique, dramatique » de la politique de protection du Patrimoine. Maintenant que le bâtiment est presque fini, on peut constater son aspect définitif – il jure avec les bâtiments historiques, soit un logis Renaissance (XVe-XVIe) auquel a été ajouté, côté construction neuve, une chapelle du XVIIe et un portail du XIXe. Mais aussi une porte du XVe exceptionnelle, dotée d’un système défensif unique en France et en Bretagne (pont-levis couvert disposé en chicane, galerie voutée, coudée, avec herse), un pavillon (dit de Marie Fouquet), construit au-dessus de cette porte au XVIIe et une aile XVIIIe-XIXe, non classée, qui part des tours pour rejoindre la Loire. Ainsi qu’une enceinte médiévale en plus ou moins bon état, dont l’entièreté est classée et dont toute l’élévation subsiste du côté est, sur les anciennes douves conservées. De ce côté, justement, la courtine du XVe – classée – a été rabotée pour asseoir un des murs porteurs en béton de l’ouvrage neuf. Le mariage, en oblique, voisin d’une entrée grossièrement carrée, n’est pas du tout harmonieux. Plus loin, le portail XIXe bien inscrit dans le site voisine avec un angle aigu de murs en béton qui semblent être ceux d’une prison. Le bâtiment est formé d’un assemblage de cubes et est à toiture plate… l’un des arguments de ses concepteurs est qu’il fait pendant aux écuries, de l’autre côté de la cour… pour cela, il aurait du être doté de lucarnes et d’un toit à deux pans !
Nicolas Faucherre, médiéviste et ancien professeur à Nantes, qui s’est beaucoup impliqué dans le dossier, complète : « Le Conseil Général et Tobie ont réussi ce que quatre bombardements d’Ancenis par l’artillerie française, la Révolution, la guerre et le temps n’ont pas réussi à faire : défigurer le château ». Sous le siège de 1488, le château avait perdu un bâtiment sur le front de Loire, dont les embases du XIIIe-XIVe siècle ont été depuis redécouvertes et fouillées. Il continue : « avec un tel ajout, l’on se demande à quoi bon restaurer le Logis qui, à côté, tombe en ruines ». Le château d’Ancenis est un patrimoine qui, par son importance politique, historique et militaire, appartient au peuple Breton dans son entier. Mais les élus et les administrations chargées de sa protection et de sa restauration portent la lourde responsabilité d’avoir spolié le peuple Breton de ce qui lui revient en propriété commune : son histoire et son patrimoine.
L’un des arguments de l’architecte qui a fait le bâtiment est que celui-ci n’est pas en covisibilité avec le château, ou avec la maison de la Dourbellière (juste à droite du château, cette maison du Directoire a une façade classée), et qu’il n’est pas visible du pont. En clair, il n’y aurait pas un point d’où l’on voit ET le bâtiment, ET le château. Cet argument est balayé par la réalité. L’on voit le bâtiment de partout, et comme il est en biais par rapport au château – suivant l’enceinte – il jure avec les perspectives. Bien que quelques uns des cèdres tri-centenaires ont été gardés, et masquent un peu son élévation, on le voit du pont, mais aussi des quais, et même quand on regarde la Dourbellière. Même si le bastion saillant du sud-est cache le bâtiment nouveau quand on est juste devant la maison. Mais quand on passe dans le jardin – les anciennes douves à l’est du château – il fait saillie au-dessus de la muraille. Et plusieurs de ses baies plongent dans l’intimité des propriétés avoisinantes.
La construction du bâtiment a détruit un site archéologique majeur
Mieux encore, lors des travaux préparatoires aux fondations du bâtiment, les fouilles ont été bâclées et un site archéologique découvert en catastrophe (officiellement le 29 mars 2012), alors qu’il était déjà aux trois quart atteint par les engins de travaux. Maintenant, le maire d’Ancenis souhaite rattraper la bévue et faire des fouilles d’importance. « Cela est bel est bon », commente Nicolas Faucherre, « mais il reste 10% du site d’origine. Alors il pourra bien faire faire ses super-fouilles de façade, mais le site est atteint irrémédiablement et l’on ne pourra peut-être jamais prouver avec certitude le passé paléochrétien du site ». Nous avons eu communication de l’appel d’offres passé par la DRAC Pays de Loire pour des fouilles d’urgence. Celui-ci décrit le site et les découvertes : « à proximité de l’enceinte nord et des travaux en cours […] une séquence stratigraphique d’environ 0.50 m d’épaisseur conservée dans une berme d’environ 15 m de long et 4 de large […] des fragments de tegulae [tuileaux], du verre et de la céramique gallo-romaine et alto-médiévale. Un sarcophage en calcaire coquiller repose sur le rocher dans un axe sud-ouest. Cet horizon gallo-romain et médiéval est encadré par deux structures maçonnées distantes de 10m l’une de l’autre ». Mais ce qui est décrit n’est qu’une très petite partie « 50 m² environ » du site originel, détruit par les travaux. D’où des fouilles d’urgence, sur le motif que « le site est directement menacé par des travaux en cours »– ceux du bâtiment du Conseil Général.
Les parties historiques du château dans un état pitoyable
Pendant que maire et conseil général saccagent la cour du château, les bâtiments historiques croulent. Ainsi du Grand Logis, que nous avons visité, et dont l’état est plus lamentable à l’intérieur que ne laisse présager l’extérieur. Nous reviendrons sur son état. Plafonds croulants, planchers qui s’effondrent, vitres cassées et charpentes en cours de pourrissement accéléré, ce n’est certes pas là une réussite de la protection des Monuments Historiques. Près de la rue du Pont, la grosse porte du XVe est fermée par une herse en bois doublée d’un rideau en feutre. Il y a de quoi. Derrière, les plafonds tombent, bien qu’étayés, l’humidité ravage les murs médiévaux. Le pavillon Marie Fouquet, élevé au XVIIe sur cette tour, a été restauré. Une restauration que l’on qualifie localement de « somptuaire », aucun accès pratiquable pour les touristes n’a en effet été prévu. Par ailleurs, elle a été très coûteuse pour la ville d’Ancenis. L’état se dégrade à nouveau : « dedans, ça sent le moisi », commente un Ancenien qui y est rentré une fois depuis deux ans. L’aile sud, non classée (XVIIIe-XIXe) n’est pas dans un meilleur état. Plusieurs croisées sont ouvertes, il pleut dedans, le toit est en mauvais état et les murs aussi. Une restauration du Grand Logis est envisagée, mais le Conseil Général refuse d’avancer l’argent, ni la ville d’Ancenis d’ailleurs, « ce qu’elle pourrait très bien faire avec un échéancier rigoureux », indique Annie Briand (PS), qui mène la contestation politique au sujet du château. Pendant ce temps là, alors que croule un monument aussi important pour la Bretagne que la Cathédrale de Quimper ou la porte Saint-Nicolas de Nantes, le Conseil Général met près de 22 millions d’€ dans le Pont juste en face du château, ce qui peut se comprendre, et plusieurs autres millions d’€ dans le bâtiment moderne qui massacre le site. Grand sens des priorités, vraiment.
Les Anceniens en colère
Tout ce saccage ne laisse pas indifférent les habitants de la ville, dont près de la moitié a signé une pétition contre la construction du bâtiment neuf dans la cour du château. Leur colère va à la fois contre l’action du maire en général et la gestion du château en particulier. La construction du bâtiment neuf s’est traduite par l’abattage de cèdres tricentenaires, une perte dont beaucoup n’arrivent à se consoler. « Quand les touristes viennent ici, on n’ose pas leur dire qu’il y a un château à voir… il est dans un état honteux, et en plus, avec le bâtiment construit dedans, c’est l’horreur », souffle le patron d’un bar. Un autre « c’est quand même vraiment curieux que l’on ait mis ce bâtiment là, et qu’on l’ait fait en plus sans demander leur avis aux gens… après tout, il est à nous ce château ! ». Une voisine lâche « on n’ose plus regarder ce qu’ils font. De chez moi, je vois les toits croulants du château et ces cubes… vraiment moches ! ». Un jeune à moto, devant la gare « Ancenis-centre, c’est mort. Le maire, il ne fait rien pour nous, il laisse tout barrer à Saint-Géréon, ça doit l’arranger qu’il n’y ait que des vieux en ville ». Son ami le coupe, « mais non, il n’y a pas que des vieux, mais ça va dans la direction. En tout cas, on a un truc à voir, c’est le château, et ça tombe en ruines grâce à not’ bon maire, c’est vraiment pourri ! ». Un château qui, patrimoine communal et Breton, appartient à tous les anceniens et tous les Bretons, et qui est altéré, rappelons-le, par un maire UMP et un conseil général PS. La bêtise et l’impéritie n’ont pas d’étiquette politique, mais leur conséquence est la même : priver les Bretons de leurs biens communs, de leur histoire, de leur patrimoine, de leur avenir. Il est grand temps que les élus prennent leurs responsabilités.
cet exemple n’est qu’un de plus concernant le saccage du patrimoine de la Bretagne qu’il soit historique ou environnemental.Rien ne compte hormis le rapport à l’argent et à la rentabilité à court terme.Le cas d’Ancenis n’est pas sans similitude avec le chateau de Falaise en Normandie bétonné lui aussi. Et Nous avons, parait-il, des adjoints au patrimoine et à l’environnement…
C’est navrant! Comment peut on laisser notre patrimoine tomber en ruine et le massacrer!
J’ai de très belles photos de mon enfance (en vacances chez mes grands parents, ou la ville organisait encore une fête « moyenâgeuse » avec le château comme pièce maitresse du décors et des festivités… Le château avait encore bonne allure en 1990.
Comment peut on soutenir le combat?
Un Breton de Naoned bien attristé!
Je me souviens de ce parc très sympa face à la Loire et de ce château qui semblait déjà abandonné. Décidément c’est la semaine de mauvaises nouvelles concernant le patrimoine breton…(
stop à ce massacre, pauvre France!!!! plus aucun respect….
Il faut retirer à nos élus le « pouvoir absolu ». Nos élus sont là pour nous représenter. Ils n’ ont aucunes compétences en matière d’ architecture ou d’ urbanisme. Ils ne sont pas élus non plus pour porter TOUTES le casquettes. Limitons leurs interventions à leurs attributions. Nos représentants abusent de leurs pouvoirs comme l’ aristocratie en a abusée. Ils devraient agir avec leur bras et leurs jambes; parfois sans la tête; cela vaudrait mieux pour l’ intérêt commun.
Tout cela rappelle fort la « restauration » du château de Falaise, dans le Calvados. Avec quand même, portons au moins cela à ceux qui se sont acharnés sur Falaise, qu’ils se sont quand même occupé de restaurer les parties anciennes et non de les laisser crouler, comme à Ancenis. Triste. Vraiment triste…