Comment faire quand on est maire d’une petite commune littorale et qu’on veut faire construire, mais que – patatras ! – une zone naturelle d’intérêt faunistique et floristique (ZNIEFF) s’oppose à toute construction. Il suffit d’être rusé. Mais encore ? Une commune corse vient de faire réduire piano piano une ZNIEFF, en usant d’une petite combine parfaitement légale, révélée par l’association U Levante. Combine qui risque de faire école sur le continent.
En Corse, les Znieff de type 1, dont les contours ont été validés par des scientifiques du Muséum d’histoire naturelle, sont inconstructibles par application du Schéma d’aménagement de la Corse. Un document d’urbanisme qui vaut Directive territoriale d’aménagement. Mais, voilà qu’à Piana, la Znieff Capu Rossu/côtes rocheuses à Piana/Arone (n° 00840000) gêne les projets de bétonnage de la commune. Le projet de PLU nouveau prévoit de rendre la limite sud de cette zone urbanisable. Juste au-dessus de la plage d’Arone.
La commune a mandaté un bureau d’étude – Biotope – qui a réalisé en quatrième vitesse et sur quelques jours un inventaire de la biodiversité sur le secteur à urbaniser. Comme l’inventaire est très rapide – et pour cause – il est bâclé. Sans le remettre en cause ou se pencher sur sa réalisation, la DREAL se fonde sur lui et déclasse le secteur en question, en passant outre l’avis du comité scientifique (deux voix pour, trois contre, sept absentions). Le 28 janvier, la DREAL Corse modifie la cartographie des ZNIEFF sur son site officiel, et ne rend sa décision publique que le 7 février. Et voilà. Le secteur déclassé est prêt à être urbanisé.
L’Etat en faillite
La Corse reste actuellement un territoire relativement sanctuarisé. Plus pour longtemps. Les pressions sont telles que les élus locaux ne peuvent guère que s’engager dans la fuite en avant dans le bétonnage. Certaines communes doublent leur zone urbanisable (Au) alors que leur population stagne ou diminue. Les services de l’Etat alternent entre hyper-rigorisme et passe-droits aux « initiés » ou aux riches français, perçus comme des colons. Il arrive que la loi Littoral, malmenée par les autorités, préfets y compris, ne soit appliquée que par les nationalistes Corses à coups de bombes. Trop d’argent et trop d’influence sont en jeu pour que la caste d’élus et de « responsables » qui vivent aux crochets de la République ne cèdent à la tentation de rendre un petit service illégal. Un trait de crayon sur un PLU, une modification de zonage, rapporte à coup sûr des millions d’euros. Générant un marché avec ses tensions, et la colère de la grande majorité des Corses qui voient leur île saccagée et qui se trouvent sans moyens, les avis contraires des autorités étant contournés, les décisions de justice n’étant pas appliquées. En Corse, l’Etat est en faillite, surtout sur l’urbanisme et la protection de l’environnement.
Pas seulement un problème Corse
Mais il serait trop facile de cantonner à la Corse cette démission, voire cette faillite de l’Etat républicain, voire ripoux-blicain. De l’autre côte de l’eau, l’ADEBL, Association de Défense de l’Environnement de Bormes et du Lavandou, dans le Var, constate avoir de plus en plus de difficulté pour faire respecter le droit de l’urbanisme, y compris du côté des tribunaux, où les acquis juridiques de quinze ans de lutte, à raison de 30 à 40 procédures par an basées sur le non-respect de la loi Littoral (146-6 code de l’urbanisme) ou l’urbanisation qui n’est pas en continuité des agglomérations existantes (146-4-1 code de l’urbanisme), s’effritent peu à peu. Revirements de jurisprudences et décisions de 1e instance contre l’esprit de la loi conduisent à l’allongement et la complexification des procédures, qui s’ajoutent aux nombreuses pressions locales contre l’association, promue « empêcheur de tourner en rond » du Var. Martine Lafontaine, présidente de l’ADEBL, décrit la situation « les maires délivrent, dans un marché ouvertement spéculatif, tourné vers la résidence secondaire, des permis à n’en plus finir, sans tenir compte des équilibres naturels, des paysages, des terres agricoles ». Un constat qui pourrait aussi s’appliquer à la Corse. Outre le Midi, des problèmes semblables sont de plus en plus constants dans l’Aquitaine, l’Ile de France et l’Alsace. La collusion des constructeurs et des autorités chargées de les encadrer (maires et préfets principalement) n’est pas une illusion, devant l’appétit des intérêts politiques et la cupidité.
Et en Bretagne ?
Ce qui se passe en Corse vous étonne ? Pourtant la situation en Bretagne n’est pas exempte de reproches. Des îles connaissent une urbanisation ininterrompue et très peu contrôlée, comme Groix. Une urbanisation essentiellement résidentielle et estivale, qui n’apporte que peu d’activité aux communes l’hiver. Le syndrome des « volets clos » est connu sur toute la côte sud du Morbihan, sur le Golfe, mais aussi en Loire-Atlantique et dans les Côtes d’Armor. Sur la commune de Saint-Nazaire, la commune tolère les « déviations » récentes du chemin côtier sur les voies communales, en retrait du trait de côte, lorsque certains acheteurs barrent aussi le chemin, comme c’est le cas à la villa Géorama.
Et on a mieux encore, ou pire. Toutes les autorités publiques théoriquement chargées de la protection des espaces naturels – et les autres, encouragent ouvertement un grand projet dont l’assiette est composée de 98% de zones humides. Un grand projet dont les conséquences ne sont pas connues – et n’ont jamais été recherchées – sur le réseau hydrographique local, tant à petite qu’à grande échelle. Un projet dont la réalisation risque de rendre les communes avoisinantes plus sensibles au risque inondation. Un projet, qui contrevient à trois directives européennes, et qui est illégal depuis 2008 en droit français. Impossible ? Ces mêmes autorités viennent de commencer une campagne de publicité pour 300.000 € afin de convaincre la population de ses bienfaits. Ce projet est un projet d’Etat. Il s’agit… du projet d’aéroport à Notre-Dame des Landes. Qui en dit long sur la volonté profonde de l’Etat : désanctuariser la Bretagne, la Corse, la Savoie, le Pays Basque, l’Alsace… et tout ce qui a échappé au bétonnage républicain.